Plus d’un siècle d’histoire
Texte Gilles Bonnafous (1946-2011) avec l’aimable autorisation de Motorlegend.
De 1881 à 1898, six frères naissent à Voghera, dans la province de Pavie, où leur père, Rodolphe Maserati, est cheminot : Carlo, Bindo, Alfieri, Mario, Ettore et Ernesto. A l’exception de Mario, qui choisira la peinture, tous se consacreront à la mécanique. Carlo travaille d’abord chez Fiat, puis chez Isotta-Fraschini, Bianchi et enfin chez Junior, quand il meurt en 1910. Engagé dès l’âge de 18 ans par Isotta-Fraschini, Alfieri s’y affirme comme technicien et comme pilote. Leader de la fratrie, il sera rejoint chez le grand constructeur milanais par Bindo et Ettore.
En décembre 1914, alors que l’Italie n’est pas encore entrée dans la guerre, Alfieri Maserati se met à son compte. En compagnie d’Ettore et d’Ernesto (Bindo restant chez Isotta-Fraschini), il crée à Bologne un atelier spécialisé dans la préparation sportive des moteurs Isotta-Fraschini. La » Societa Anonima Officine Alfieri Maserati » est née. Au lendemain du conflit mondial, Alfieri acquiert un nouvel atelier dans la banlieue de Bologne, au lieu dit Ponte Vecchio. Il prend part régulièrement à des épreuves sportives, en particulier au volant de la Tipo Speciale, une Isotta-Fraschini de 6,3 litres, au volant de laquelle il remporte la course de côte Suse-Mont-Cenis en 1921 et 1922.
Très naturellement, Alfieri décide de passer du statut de préparateur à celui de constructeur. La première Maserati apparaît en 1926, c’est la Tipo 26 (d’après l’année de sa naissance), une huit cylindres double arbre suralimentée de 1,5 litre. Sur le radiateur, figure le logo de la nouvelle marque. Il emprunte à la statue de Neptune, qui trône sur la place de Bologne dédiée à la version romaine de Poséidon, le trident que le dieu grec de la mer a reçu des Cyclopes. On a connu des emblèmes moins flatteurs…
Les voitures au trident s’imposent rapidement, grâce notamment à Baconin Borzacchini et Ernesto Maserati. Mais de nombreuses victoires sont à mettre au crédit des riches clients pilotes de la firme, qui, pendant des années, apporteront à celle-ci un appui économique et publicitaire déterminant. Le record du monde de vitesse sur dix kilomètres réussi en 1929 par Borzacchini au volant de la V4, une machine motorisée par un moteur V16, ne fera que renforcer l’image de Maserati auprès de sa clientèle. Ce succès aura un retentissement très important et la marque sera peu affectée par la crise de 1929.
Construites sur le châssis de la 26 M, le chef-d’œuvre d’Alfieri, les premières voitures de route apparaissent en 1930. Il ne s’agit toutefois que d’initiatives isolées dues aux carrossiers Castagna, qui réalise deux cabriolets, et Zagato, auteur d’un spider en aluminium.
Père de la marque et auteur de ses machines, Alfieri meurt en mars 1932 des suites lointaines du grave accident dont il avait été victime le 8 mai 1927 à la Coupe de Messine. Ayant perdu leur patron naturel, les frères Maserati se serrent les coudes. Bindo quitte Isotta-Fraschini, où il travaillait depuis plus de vingt ans, pour venir épauler Ettore et Ernesto. Il devient le président de la société, Ettore ayant en charge la compétition et Ernesto le bureau d’études.
Avec la nouvelle réglementation des Grands Prix instaurée en 1934, s’ouvre une ère difficile pour Maserati. La donne est bouleversée par l’entrée en scène et en force de Mercedes et d’Auto Union, dont les surpuissants bolides vont écraser la concurrence jusqu’à la fin des années trente. Maserati se détourne de ce qu’était alors l’équivalent de la Formule 1 pour se concentrer sur les voitures de 1500 cm3 et 1100 cm3, où la marque a acquis une position privilégiée. Conçue par Ernesto, la remarquable 6 CM (1,5 litre), qui se taillera un grand palmarès, est exposée au salon de Milan, où, pour la première fois, Maserati est présent en 1936.
Confrontée de manière récurrente à des problèmes financiers, la marque connaît des moments particulièrement difficiles au milieu de la décennie. Une situation aggravée par le déclenchement de la guerre d’Ethiopie, qui mobilise nombre de clients du Trident. La production a baissé, compromettant à nouveau la santé financière de la firme. Il faut reconnaître que si les frères Maserati brillent par leurs talents d’ingénieurs, on ne peut en dire autant de leurs qualités de gestionnaires. Une fois de plus, la marque est renflouée par un mécène aussi généreux que passionné en la personne de Gino Revere, qui devient président de la société en janvier 1936. Pourtant, un an plus tard, les frères Maserati baissent les bras et décident de céder leurs actions à la famille Orsi, de riches industriels de Modène propriétaires, entre autres, d’aciéries et de fabriques de machines-outils et de matériel agricole. L’accord stipulant qu’ils restent maîtres des orientations techniques de l’entreprise pendant dix ans, les trois frères se trouvent libérés des questions d’intendance qui ne constituent pas leur jardin d’Eden. Ils pourront ainsi se consacrer à leur passion, la création de voitures de course. L’avenir sera quelque peu différent.
En fait, les frères Maserati sont mis sur la touche dès 1939. La direction technique est confiée à de nouveaux responsables nommés par la famille Orsi, les ingénieurs Alceste Giacomazzi et Alberto Massimino. Adolfo Orsi devient le président de la société, tandis que l’usine est transférée à Modène, où elle se trouve encore aujourd’hui. La même année, Maserati connaît une gloire inattendue aux Etats-Unis, où une 8 CTF remporte les 500 Miles d’Indianapolis. De cet exploit, renouvelé qui plus est en 1940, la marque gagne outre-Atlantique une image riche de promesses pour les exportations de l’après-guerre. En 1946, deux 8 CTF prendront encore les troisième et quatrième places de l’épreuve reine du continent américain.
Très faste pour Maserati, la période de l’après-guerre s’avère comme l’une des plus fructueuses de l’histoire de la marque. Le Trident accumule les trophées en Europe comme en Argentine, où, plusieurs années de suite, il rafle pratiquement tout le palmarès de la Temporada. Gigi Villoresi, Giuseppe Farina et Alberto Ascari s’imposent à Buenos Aires et à Mar del Plata, ainsi qu’un certain Juan Manuel Fangio…
Date clé dans l’histoire de la marque, l’année 1946 voit la naissance de la première Maserati de route, l’A6, une jolie berlinette carrossée par Pinin Farina et motorisée par un six cylindres de 1,5 litre. Un an plus tard, Bindo, Ettore et Ernesto Maserati quittent une entreprise qui n’est plus vraiment la leur pour fonder à Bologne, le berceau du Trident où ils retournent, l’OSCA (Officine Specializzate Costruzione Automobili).
Le début des années cinquante se révèle peu brillant pour les monoplaces Maserati, Alfa Romeo s’imposant nettement dans le nouveau championnat du monde de Formule 1 créé en 1950. Les Orsi réagissent et décident de se donner les moyens de recoller au plus haut niveau. Ils engagent l’ingénieur Gioacchino Colombo, l’auteur de l’Alfa Romeo 158. A côté de l’A6GCM, une version Sport est lancée, l’A6GCS, qui s’assurera une suprématie durable dans sa catégorie.
Un nouveau modèle de tourisme sportif non destiné à la compétition est présenté en 1954. Dérivée de l’A6GCS, l’A6G 54 remplace l’A6G deux litres, qui, en 1951, avait succédé à l’A6 1500. Dans sa version coupé Zagato, l’A6G 54 est l’une des plus séduisantes Maserati de route et aussi l’une des plus belles GT jamais construite.
La Formule 1 étant passée à 2,5 litres en 1954, Maserati retrouve temporairement, mais avec succès, Fangio, qui pilote la nouvelle la 250 F. Après la 250 S, évolution de l’A6 GCS, deux nouveaux modèles Sport apparaissent : la 150 S et la 300 S de trois litres. Avec cette dernière, qui sera en 1956 la plus redoutable adversaire des Ferrari, Maserati s’engage à fond dans le championnat du monde des constructeurs. En 1957, le Trident participe aux deux championnats mondiaux, F1 et Sport, ce dernier attribuant le titre de champion du monde des marques. Fangio revient alors chez Maserati et s’installe au volant d’une 250 F remaniée et portée à 290 ch. C’est un triomphe et la firme de Modène touche, enfin, au but en fin de saison : le champion argentin empoche son cinquième et dernier titre mondial sur la magnifique 250 F, l’une des plus belles monoplaces vues sur un circuit. En cette année 1957, la plus belle de toute l’histoire de la firme, Maserati est à deux doigts de cumuler les deux titres, la puissante 450 S de 400 ch ratant de peu le titre mondial des constructeurs.
La surprise est donc grande en fin d’année, quand tombe la décision de l’usine de se retirer de la compétition. Les motifs invoqués sont de nature économique. De fait, Maserati est placé sous contrôle judiciaire le 1er avril 1958. La firme sera sauvée par la belle 3500 GT, première Maserati produite à grande échelle – relativement au créneau très exclusif des GT italiennes (près de 2000 exemplaires). Conçue pour le marché américain, elle y sera largement diffusée. La 3500 GT constitue un pas décisif dans l’histoire du Trident. Constructeur exclusif de voitures de course pendant des décennies, Maserati opère avec ce modèle une réorientation stratégique et affirme sa vocation nouvelle à produire des automobiles de route.
En 1959, naît l’une des GT les plus exclusives et les plus coûteuses, la 5000 GT carrossée par Touring. Réalisée pour le shah d’Iran et motorisée par un V8 de cinq litres dérivé de la 450 S et délivrant 350 ch, elle est exposée au salon de Turin. Elle y fait grosse impression et suscite la créativité de plusieurs carrossiers italiens (Bertone, Allemano, Michelotti et Frua), qui se serviront de cette voiture d’exception pour mettre leur talent en exergue dans les grands salons automobiles.
L’année 1963 est marquée par un événement appelé à faire date : la naissance de la première Maserati quatre portes, la bien-nommée Quattroporte, une berline très exclusive, aussi brillante (V8 de 260 ch) que confortable. Mais la compétition n’est pas réellement abandonnée. La Tipo 60 et la Tipo 61, dont le châssis en treillis multitubulaire très fin leur vaudra le sobriquet de Birdcage (cage à oiseaux) ou de Maserati-spaghetti, se révèlent de redoutables compétitrices au cours des années soixante. Outre ses succès aux Etats-Unis, la Tipo 61 sera vice-championne du monde des marques. Par contre, les tentatives pour s’imposer aux 24 Heures du Mans avec la Tipo 151 s’avéreront infructueuses.
Maserati poursuit son chemin de créateur de GT de rêve. Aux Sebring et Mistral, héritières de la 3500 GT, viennent se joindre la Mexico, un coupé 2 + 2 signé Vignale, la sublime Ghibli, rivale de la Ferrari Daytona, l’Indy, ainsi nommée en souvenir des exploits réalisés sur l’ovale d’Indianapolis. La magnifique Bora, première Maserati de route à moteur central, est lancée au salon de Genève 1971, suivie en octobre par la Merak, également due au talent de Giugiaro. Deux ans plus tard, la Ghibli cède la place à la Khamsin, dessinée par Bertone et dont le nom est emprunté à un vent africain – rejoignant ainsi le cercle des Maserati (Mistral et Bora). Elle reçoit le V8 cinq litres de la Ghibli SS à la puissance légèrement réduite à 320 ch.
Impénétrables voies du destin, c’est au moment où Maserati est en plein essor que s’ouvre pour le Trident une période d’instabilité, au cours de laquelle il va connaître maints tourments et tribulations. En 1968, Adolfo et Omer Orsi cèdent la majorité de leurs parts à Citroën, suite à d’habiles tractations conduites par Michelin, qui contrôle alors le Quai de Javel. C’est l’époque des grandes ambitions avec notamment l’accord passé avec Fiat – qui ne durera pas longtemps. Pour la SM, Giulio Alfieri, maintenu à la tête de la direction technique, conçoit un V6 de 2,7 litres, qui sera monté sur la Merak dans une version dérivée et portée à 2,9 litres. Mais c’est peu dire que les chevrons ont laissé un mauvais souvenir à Modène. En mai 1975, Citroën annonce brutalement que Maserati est mis en liquidation, provoquant un beau tollé ! L’échec commercial de la SM, la reprise du Quai de Javel par Peugeot, qui se désintéresse du sort du Trident, et la création du V6 PRV sont autant de causes qui expliquent cette attitude.
Le sauvetage de Maserati sera le fruit d’une action concertée entre les Pouvoirs Publics italiens et Alessandro de Tomaso, ancien pilote Maserati et industriel argentin, propriétaire de sa propre marque ainsi que des motos Guzzi et Benelli. En 1976, de Tomaso se sert de sa Longchamp pour créer la Maserati Kyalami, du nom du circuit sud-africain où la Cooper-Maserati de F1 avait obtenu l’une de ses deux victoires en 1967. Restylée et dotée d’une face avant dessinée par Frua, la Kyalami est équipée du V8 de 4,1 litres des Mexico et Indy.
La décennie 80 sera celle des Biturbo, des modèles moins coûteux mais aux performances brillantes. Pas moins d’une trentaine de versions seront développées de ces voitures néanmoins en retrait par rapport à la grande époque du Trident.
Depuis 1993, Maserati revit aujourd’hui sous la houlette du groupe Fiat, qui, en 1997, a placé le Trident de Bologne dans l’écurie du cheval cabré de Maranello. Un singulier clin d’œil de l’histoire, quand on sait que la firme fut, sur les circuits comme à la ville, la grande rivale italienne de Ferrari. Avec la 3200 GT, lancée au salon de Paris de 1998, et ses dérivés, l’avenir semble assuré, d’autant que la marque affiche de nombreux projets à la mesure d’ambitions retrouvées. En témoigne le retour de la Quattroporte et le show car Kubang GT Wagon réalisé par Giugiaro et présenté au salon de Detroit 2003.
A suivre …, l’histoire continue